Ndary Lo

Ndary Lo, « A la rencontre des artistes contemporains du mali, du Burkina Faso et du Sénégal »

Extrait du mémoire de Marion Brousse, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, octobre 2002

Il faut s'éloigner de Dakar dans la direction de Rufisque pour arriver chez Ndary Lo.
Sa présence est d'abord signalée par des silhouettes peintes sur un grand mur, puis apparaissent d'immenses personnages de fer, les bras levés au ciel, encadrant la porte d'entrée de l'artiste. La cour est habitée par de nombreux personnages en fer en position de marche.

Ton oeuvre est assez atypique, as-tu suivi une formation artistique ou es-tu plutôt autodidacte ?

Femme qui plonge

Mon premier contact avec le fer, je l'ai eu très petit. J'ai passé mon enfance à la campagne, dans la région de Thiès chez mes grands parents. J'allais en cachette chez le forgeron et je l'aidais. Parfois, j'ai des images qui reviennent de cette époque et je sais que tout mon travail vient de ce vieux forgeron.

Chez nous, nous n'avions pas d'électricité et mes premières sculptures étaient faites avec des lampes à pétrole. J'en ai fabriqué près de deux cents cinquante.
Je suis parti à Dakar suivre deux années d'études supérieures d'anglais mais c'est en écoutant Bob Marley que j'ai vraiment appris l'anglais.
Il a été très important pour moi parce qu'en écoutant ses paroles, j'ai appris l'abnégation, la volonté de réussir en partant de rien.
Pour moi, l'absence de moyen, c'est le meilleur moyen de créer son issue. Il faut inventer, réinventer. Etre artiste, c'est un état d'esprit, ce n'est pas la maîtrise d'une technique.

De 1988 à 1992, j'ai fais des études de communication aux Beaux Arts de Dakar, puis j'ai travaillé une année dans la pub. Mes parents étaient indifférents à mon choix d'études car je m'assumais totalement.

Finalement, ce n'est qu'en 1994-1995 que j'ai sérieusement commencé à sculpter.
En 1995, j'ai gagné le premier prix du concours des Arts du "Goethe Institut" de Dakar.
Le prix était une bourse de séjour en Allemagne. J'en ai profité pour parcourir l'Europe, visiter les plus grands musées et rencontrer un maximum d'artistes. A mon retour, j'ai voulu faire des statues grandeur nature pour lesquelles j'ai commencé à utiliser des fers à cheval. J'ai été impressionné par le mouvement en Europe, par exemple dans le métro. C'est la raison de l'homme qui marche. Chez nous c'est la nonchalance, il s'agit de galvaniser l'homme africain.

En 1996, j'ai exposé à l'IFAN de Dakar et au Centre Culturel Français de Saint-Louis.
Il paraît que les gens riaient en voyant mes personnages. L'année suivante, j'ai participé à un symposium de sculpture à l'occasion des Jeux de la Francophonie. C'était dans le parc national de Madagascar tous les artistes travaillaient sur bois. Je n'avais pas d'électricité pour souder alors j'ai sculpté grossièrement une silhouette en bois que j'ai ensuite recouverte de capsules de coca. Un canadien voyant comment j'avais réussi à me sortir de la situation alors que je n'avais jamais réalisé de sculpture sur bois, m'a dit que je m'adaptais bien aux situations. J'ai alors réalisé que c'est toujours ce que je fais.
C'est là que j'ai pensé au Daptaïsme.

Le Daptaïsme, qui vient du verbe s'adapter, c'est créer avec ce que l'on trouve dans son environnement. Cette démarche est aussi un respect et une tolérance vis à vis des autres cultures, vis à vis de l'autre tout simplement.

Actuellement je fais une installation avec un grand groupe de marcheurs.
Il faut que l'oeuvre impressionne. Il doit y avoir des sensations, quelque chose qui se passe à la vue de l'oeuvre. C'est ce qui importe pour moi. Après, je vais faire des sculptures végétales.

Avec ton Daptaïsme et tous tes marcheurs, tu as l'air obnubilé par le mouvement. Mais on se demande si tes personnages vont tous dans la même direction et même si cela a une quelconque importance pour toi. D'ailleurs, tes sculptures je les appelle des personnages mais comment les nommes-tu ?

Yakaar

Mes sculptures, je les appelle nit (qui signifie personnage en wolof). Je ne sais pas consciemment vers où elles marchent mais ce qui est important pour moi, c'est leur mouvement.
Je suis obnubilé par le mouvement, il faut que cela bouge.
Parfois, j'habille mes personnages avec des fibres qui bougent au gré du vent. Mais cela s'adapte aussi à mon mode de vie. J'ai souvent envie de déménager pour m'enrichir, pour me nourrir de nouvelles choses et évoluer. Il faut s'ouvrir au monde. Nous sommes encore cantonnés dans l'art contemporain africain.

La Biennale de l'Art Contemporain Africain de Dakar, c'était bien la première année, mais nous avons eu dix ans pour nous. Maintenant il faut qu'elle devienne internationale.

A Lille, en automne dernier, j'ai présenté une installation, "Opération chirurgicale".
J'y dénonce les modernes qui essayent de décortiquer l'histoire d'Afrique pour la remodeler et en sortir du nouveau. Nous avons réellement besoin de cette opération en profondeur et à tous les niveaux. Quarante ans après les indépendances, nous ne savons toujours pas si l'on doit retourner aux racines, avoir simplement recours aux racines, ou si l'on doit laisser tomber tout cela.

Pratiques-tu une religion ?

Prière pour la paix

Je suis musulman pratiquant et je me suis beaucoup interrogé en commençant la sculpture.
La religion n'aime pas la sculpture mais je suis musulman et j'entends le rester.
Je veux mettre ma sculpture au service de la religion. Je mets souvent la cassette d'un grand imam égyptien récitant le Coran, lorsque je travaille. J'ai besoin de cette inspiration pour réaliser une sculpture.
J'ai fait un personnage immense ouvert sur le ciel, ouvert au monde, ouvert à Dieu.
Il est en prière, les bras levés s'adressant au ciel, mais je voulais une prière universelle. Dieu sait, je n'ai pas à expliquer.
De toutes les façons si je dois me repentir plus tard de ma liberté, je prends le risque. J'ai placé Dieu tellement haut qu'il est inaccessible. Dans la religion comme dans l'art je n'ai pas de but à atteindre.

Je peux tout juste tendre vers quelque chose, essayer de m'en approcher. Il faut avoir une voie que l'on trace et tendre vers quelque chose.