Ndary Lo

Etres en marche : les longues effigies de Ndary Lo

Par Roger Pierre Turine, paru dans le supplément "Arts" de la Libre Belgique du 14/10/2011

Sculpteur sénégalais, Ndary Lo a enlevé deux fois le Grand Prix Senghor de la Biennale de Dakar. Le revoici en forme à Paris

Deuxième expo personnelle, dans la même galerie Guigon, d'un artiste qui va son chemin avec la conscience tranquille du travail mené à bout de bras, sans artifices liés à quelque mode, pour la seule raison qu'il lui colle à la peau. Plus rare qu'on ne le croit ! Nous connaissons ce Ndary-là depuis quinze ans et la découverte de ces effigies efflanquées, qui tutoyaient le ciel de Dakar en 1996 déjà, nous reste en mémoire. C'était surprenant. Depuis, Ndary Lo a poursuivi sa route sans beaucoup en dévier, plutôt en fortifiant les conquêtes enregistrées au prix de combats loyaux et énergiques avec les fers soudés. Ses hommes qui marchent et ses femmes peules avouesnt sans doute toujours des parentés avec les pièces majeures d'un Giacometti qui lui-même, se reconnaissait des accointances avec l'art pariétal d'Afrique du Sud. Quel artiste n'a pas sa parentèle d'élection ! L'homme et la femme sont cependant dévisagés et ennoblis différemment par l'un et l'autre. Ndary Lo voue les siens à cette longue marche en avant d'une Afrique qui, en bout de course, devrait enfin se libérer de ses carcans, le moindre n'étant pas celui de son immobilisme latent.

"Il y a beaucoup de corvées derrière ce travail de vieux fers à béton, des objets de récupération, de la matière à l'entour, qui sont l'essentiel de mes mises en forme. J'aime l'ouvrage dur qui suscite la confrontation, qui dégage son énergie. Dur et avec des idées. Conséquence heureuse : il est rare que d'autrres fassent comme moi !" Ndary Lo

Dans cette exposition, l'artiste a réuni d'autres choses que des êtres en marche. S'ils sont présents parmi d'autres, les autres justement nous parlent de traditions, de déboires, de conquêtes. Intitulée "Strange fruit", l'expo de Lo s'arc-boute à un poème de 1937 du juif et communiste américain Abel Meeropol, le même qui adopta les enfants Rosenberg après leur exécution sur la chaise électrique. Dans son poème, il constate, inquit : "Les arbres du sud portent un étrange fruit, du sang sur les feuilles et du sang aux racines, un corps noir qui se balance dans la brise du Sud, étrange fruit suspendu aux peupliers..." Et Lo a créé, pour le souvenir de ceux de sa race, de ces arbres aux branches desquels pendent, fruits bizarres, des hommes condamnés au nom de dieu sait quelle idéologie. L'artiste ne juge pas, il rappelle, pose des questions liées aux attitudes de ses personnages. Ainsi son sage d'Afrique retranché en lui-même, coudes repliés, en appel de réponses urgentes. Le "Diakhlé" en wolof. Reprenant un thème qui lui avait souri au Dak'art 2008, voilà une version nouvelle de sa "Forêt verte" au gré de laquelle de petits personnages de fer en sont les branches. Leurs ombres sur les murs doublent la charge de la rencontre. L'homme serait-il condamné à mourir ou à s'envoler ? Ndary Lo évalue les possibilités entre "Crucifixion" et "Envol" et, se souvenant que l'animal fait partie de sa vie, une scène qui réunit un homme et un lion présage, qui sait, d'une nouvelle donne dans son engagement avec le fer : voici des sculptures ajourées, fers tordus emplis de rythmes nouveaux. Un regret : que l'artiste n'ait pas réglé lui-même son accrochage : il a le secret de l'installation dynamique et magique. En 2000, Ndary Lo avait exposé dans les jardins du Palais Royal à Paris avec pour pairs : Rodin, Giacometti, Cesar, Gargalo, Zadkine, Nash, Botero, d'autres encore... "Ca m'avait donné des ailes de me retrouver avec tous ceux-là qu'auparavant je voyais dans des livres !" Devenu grand (il l'a toujours été par la taille), Ndary Lo va de l'avant avec, au ventre, la rage d'avancer. C'est bon signe.