Les attaches célestes
Sylvain Sankalé, février 2006, Dakar
"Femme nue, femme obscure (...)
Gazelle aux attaches célestesLéopold Sédar Senghor
Romain Gary avait décrit "les racines du ciel"
Empruntant sa formule au poète, Ndary Lo a choisi de nous dire "les attaches célestes".
Chacun privilégie l'image de ce qui unit la terre au ciel, sorte de médiateur entre les créatures et leur Créateur.
Passant de l'image à l'acte, du verbe à la création, l'artiste nous offre une forêt de corps élongés à la recherche de ce qui nous ramène au divin.
Mais cette thématique de la recherche spirituelle ne saurait se dissocier d'une autre quête du sculpteur, à la rencontre de ses frères en Humanité.
La verticale

A l'évidence l'approche purement physique de l'oeuvre de Ndary Lo nous renvoie immédiatement à la verticalité.
Qu'ils soient statiques ou en mouvement, ses personnages, hommes ou femmes, dressent leur silhouette filiforme dans l'espace.
La contrainte du matériau de base utilisé (à peu près exclusivement du fer à béton) n'y est pour rien dans la mesure où, lorsqu'il le souhaite, et nous en verrons quelques exemples chemin faisant, le fer peut se faire cage thoracique ou ventre de femme enceinte.
Une ressemblance avec le démiurge qui crée cette foule anonyme n'est pas non plus à exclure, les personnages n'étant manifestement pas "en quête d'auteur" puisqu'il existe une indiscutable parenté physique entre eux...
Si cette verticalité des personnages était insuffisante pour nous convaincre de cette recherche d'élévation, l'artiste l'accentue encore en leur faisant tendre les bras vers le ciel d'un geste d'imploration qui ne saurait laisser le moindre doute quant à ses intentions.

Et si cela n'avait pas suffi, allant encore plus loin dans cette démarche, Ndary Lo a mis l'accent sur les mains de ses implorants, mains aux doigts longs et effilés comme une ultime tentative d'extension vers le ciel, mains multiples et multipliées, mains qui remplacent les visages anonymes, comme autant de volonté de saisir ou d'être saisi.
Il s'agit bien de ces "attaches célestes" que l'artiste détourne de l'intention du poète ou plutôt auxquelles il apporte une connotation supplémentaire, ajoutant poésie à la poésie. Gageons que L.S. Senghor n'aurait pas été insensible à cette cascade de signification qui va du matériel au spirituel.
Nous revoyons avec beaucoup d'émotion "Naanal rew mi", hommage au guide spirituel disparu, Serigne Abdoul Aziz Sy Dabakh, magnifique installation primée par le jury du grand prix du président de la république pour les arts en 1999.
A sa théorie de personnages aux bras levés, à peine vêtus de gaze légère, se sont ajoutés, depuis, deux arbres aux branches comme autant de bras aux mains ouvertes en geste d'offrande et d'imploration.
Nouvelle, en revanche, est cette installation en bleu (couleur des nuées) où une foule de ces minuscules personnages filiformes que nous avions déjà vu grouiller dans les cachots d'une esclaverie goréenne en 2004, s'élance à l'assaut du ciel sur une échelle aux barreaux démesurés.
Qu'il s'agisse de l'une ou l'autre de ces oeuvres majeures et magistrales, le désir de spiritualité se manifeste de façon ostensible, mais non ostentatoire.
De fait, alors même qu'il est pétri de religiosité et qu'il vit intensément le fait religieux, Ndary Lo n'éprouve pas le besoin de disperser sa conviction religieuse autour de lui dans son discours.
Ses créations sont là pour ça et comprenne qui pourra!
Si l'oeuvre n'avait que cette dimension spirituelle, toute forte qu'elle puisse être, elle aurait manqué de sa dimension humaine qui aurait permis de la compléter et c'est cet aspect, secondaire en apparence, qui pourtant sous-tend tout le discours de Ndary Lo et n'est pas la moindre de ses vertus.

La dimension humaine de l'oeuvre de Ndary Lo pourtant tout aussi évidente, est moins immédiatement perçue, du fait même de son évidence.
Il n'y a que des êtres humains dans sa création artistique et même les deux arbres évoqués plus avant, apparition à peu près unique dans son travail, ont des caractéristiques physiques qui les rattachent à l'humanité.
Cette humanité est approchée de manière globale, il n'y a généralement ni visage, ni sexe, ni couleur!
Ils n'ont donc ni race, ni nationalité, ni religion, ils sont! Et cela seul suffit pour qu'il les anime et qu'il les aime.
Si quelques femmes se sont progressivement insérées dans son oeuvre c'est aussi, et surtout, à travers la maternité que l'artiste a choisi de les évoquer, et, au risque d'une rapide allusion à la vie personnelle de l'artiste, cela n'est pas tout à fait dû au hasard...
Ndary Lo aurait pu choisir d'évoquer l'élévation spirituelle par quelque construction abstraite, se conformant ainsi d'ailleurs aux canons religieux qui sont, en principe, les siens.
Il a choisi d'évoquer la créature, certes pour magnifier son Créateur, mais, au moins autant pour dire sa solidarité avec elle et son intégration dans une ronde sans fin, une chaîne d'union reliant les hommes, les uns aux autres, à travers les espaces, les croyances, les époques et les dogmes.
Ses hommes et ses femmes sont rarement isolés, ils font partie d'un groupe auquel ils se rattachent et leurs et leurs mains sont autant de liens entre eux.
Cette foule anonyme qui va peuplant le monde au gré des créations, des expositions et des coups de coeur, sont autant de messages de fraternité et de tolérance dans ce monde qui en manque tant.
L'humaine condition va cahin-caha sa longue marche vers le progrés et le changement - autre thématique d'une installation fameuse de Ndary Lo.
Pour ce faire, elle a besoin de spiritualité, certes, mais elle ne saurait avancer isolément.
Si l'exercice spirituel peut être pratiqué en soi-même, chaque être est interdépendant de ceux qui l'entourent.
Les ermites solaires ont rarement contribué à l'avancée de l'Homme vers son destin, ni même vers son Dieu.
Seule une solidarité qui, sous nos latitudes, peut-être plus qu'ailleurs, n'est pas un vain mot, jusque dans ses excés et dans ses dérives, permet à l'espèce humaine de se faire la courte échelle d'une génération à l'autre en marche vers des lendemains chantants.
Et ce n'est pas trahir la pensée de l'artiste que de donner aux mots "espoir" et "espérance" qui émaillent les titres de ses oeuvres autant de valeur pour l'en-deçà que pour l'au-delà !
N'est-ce pas là une belle illustration de cette " civilisation de l'Universel", ce "rendez-vous du donner et du recevoir" que Léopold Sédar Senghor appelait de tous ses voeux ?